La première fois qu’on a croisé la route de Drifiting Lands, c’était en novembre dernier lors de l’Indie Game Play 3 à Lyon. On avait alors déjà entendu parlé de ce curieux projet visant à mixer le shoot’em up avec le hack’n slash. Développé par les Nantais d’Alkemi, le jeu redonne de ses nouvelles aujourd’hui. Nouveau site, nouveau trailer, et toujours une alpha (PC, bientôt Mac) régulièrement mise à jour pour se faire une idée. L’occasion de retrouver le cofondateur du studio et pilote du jeu, Alain Puget, pour discuter en profondeur de sa création et son concept. Bienvenue dans les coulisses du shoot’em up fan de Diablo.
GAMES_Comment est né Alkemi ?
Alain Puget_Le projet est né en 2009 à l’initiative de moi et Michael Mouillé, mon associé qui ne fait plus partie de la société aujourd’hui. On a réalisé notre premier jeu ensemble, puis nos routes se sont séparées. Mais ce n’est pas la première fois que je monte un studio. J’avais déjà tenté l’aventure en 2002, avec des amis. À l’époque, on ne connaissait pas grand-chose et on a fait à peu près toutes les erreurs possibles et imaginables (rires). J’ai donc quitté le studio, et en 2009 on a remis ça. Cela nous a pris un moment pour mettre en place la structure. L’industrie du jeu vidéo est un milieu instable. Être sûr de pouvoir produire un jeu rentable est quasiment impossible. Dès le début, on a donc voulu appliquer un modèle consistant à financer nos jeux par de la pub car on connaît bien le secteur. On a ensuite commencé à travailler sur nos premiers prototypes, ce qui a débouché sur un petit jeu Flash, Transcripted, qu’on a publié sur Newgrounds et quelques autres portails de jeux gratuits. Il a si bien fonctionné que lorsque s’est posée la question de se lancer dans un vrai projet commercial, il s’est vite imposé. La version finale a été publiée fin 2012 par Topware Interactive, un éditeur allemand avec qui on est en procès depuis 2 ans et demi.
Pourquoi ?
Ils sont partis avec le jeu sous le bras sans rien payer. Ils se sont assis sur notre contrat, et n’ont jamais fait la com’. On ne sait même pas combien de copies ont été vendues, et ce n’est qu’en début d’année qu’on a pu récupérer des chiffres – visiblement bidonnés – sous la pression du tribunal. Quelques mois après la sortie, on a donc déposé une plainte et le procès n’est pas terminé. Notre société n’est pas morte justement grâce à notre activité parallèle. Mais ça été dur. Même si le jeu a obtenu un soutien du CNC, il nous a fait perdre 40 000 euros. Et il a été si mal promu qu’on ne saura probablement jamais s’il aurait pu être un succès.
S’agissant de Drifting Lands, pourquoi un shoot’em up alors que le genre est loin d’être au sommet de sa forme ?
D’abord parce que c’est un genre que j’aime, mais qui parfois me frustre car il est souvent réservé à une élite. Les titres intéressants sont quasiment inaccessibles sauf à condition de s’investir à fond dedans. On a donc voulu créer un jeu qui puisse s’adresser à cette classe de joueurs, tout en trouvant un moyen de démocratiser le genre. Or j’adore le hack’n slash. Et il m’a semblé qu’on pouvait faire quelque chose d’intéressant en mélangeant les deux. La recherche et la combinaison d’objets, le TheoryCrafting [tentative d’analyse mathématique des mécaniques de jeux] pour optimiser ses compétences avec son stuff… Je me suis dit que ça pourrait être sympa de proposer ce type d’expérience au sein d’un core gameplay différent.
« Le shoot’em up me frustre car il est souvent réservé à une élite. On a voulu démocratiser le genre en le mélangeant avec le hack’n slash »
_Alain Puget
Et le shoot’em up est un genre accessible du point de vue de la production pour un studio de notre capacité. On peut conserver une bonne moyenne graphique sans avoir à modéliser des tonnes de persos en 3D. C’est donc un peu aussi le choix de la raison. Quand on s’est remis de Transcripted, et qu’il a fallu repartir sur un projet, on a mis sur la table tous les types de jeux. Et très honnêtement, le premier titre sur lequel on voulait partir n’était pas celui-là. C’était un jeu de stratégie beaucoup plus ambitieux, mais qui s’est fait refouler par le CNC. Il faut dire aussi qu’on n’avait pas assez creusé le projet. On s’est donc dit que si nous n’étions pas capables de séduire la commission du CNC, il ne valait mieux pas qu’on s’engage dans ce jeu. Même si on y croit encore fort.
Et pour Drifting Lands, avec quoi les as-tu convaincus ?
Cela fait déjà plusieurs années que j’ai envie de mélanger le hack’n slash et le shoot’em up. Je savais donc parfaitement comment présenter la chose, comment trouver les mots pour convaincre que ce n’est pas juste une idée en l’air. Et c’est la seconde fois, sur trois, que je réussis à passer un dossier au CNC. Et je sais que l’un des facteurs les plus importants à leurs yeux, c’est la crédibilité du projet. Il faut montrer que tu sais où tu vas, et que tu as les capacités de le faire.
Comment défends-tu cette combinaison de mécanismes ?
Notre premier jeu était aussi un mash up, un mélange de twin stick shooter et de puzzle game. Pour tout dire, c’était un peu la combinaison entre Geometry Wars et Zuma, de la même façon qu’aujourd’hui je présente Drifting Lands comme le fils illégitime de Diablo et R-Type. Le plus important dans un bon mash up, ce n’est pas que les gameplay soient juxtaposés mais qu’ils soient imbriqués l’un dans l’autre. Drifiting Lands reprend les bases du shoot’em up : on a un vaisseau, une tonne d’ennemis à l’écran, et il faut éviter des nuées de boulettes. Sauf qu’on ne va pas se contenter de tirer en bougeant à l’écran, de ramasser des power up puis de lâcher une ou deux méga bombes par niveau. Notre gameplay est fondé – comme dans un action-RPG – sur un ensemble de compétences actives qu’on peut déclencher très souvent. Il ne consiste pas seulement à se déplacer, esquiver les boulettes ou trouver la faille dans les patterns. On a des compétences qui incitent à la mobilité, qui permettent au joueur de dasher, de foncer à travers les tirs sans les toucher ou de se rapprocher plus vite d’un monstre. On a aussi des attaques au corps-à-corps, des attaques à courte portée très puissantes.
« Le plus important dans un bon mash up, c’est que les mécanismes soient imbriqués l’un dans l’autre. »
_ Alain Puget
On incite ainsi le joueur à la mobilité. À faire des choses différentes, et pas juste se placer au pixel près. Dans Drifting Lands, les notions de placement et de timing, le temps que le joueur doit attendre avant de répéter une certaine opération, sont plus proches de ce que tu trouves dans les phases d’action du hack’n slash. Ce sont des petits combats tactiques, avec des monstres qui arrivent par une zone de l’écran, face auxquels tu dois te placer en te demandant par exemple : « Est-ce que je claque mon bouclier maintenant parce que la situation est un peu tendue, ou est-ce que je vais en avoir besoin dans six ou sept secondes ? » On voulait implanter ce genre de choses plus proches du hack’n slash.
Tout était donc là très tôt dans le projet ?
Quand on a envoyé la vidéo du jeu au CNC tout était déjà en place. Après il y a la deuxième partie, qu’on vient justement d’entamer avec notre dernière mise à jour et où on se demande si les joueurs vont vouloir faire et refaire des niveaux qui aujourd’hui ne sont pas aléatoires, mais vont le devenir. Est-ce qu’un shoot’em up dans lequel le joueur ramasse du crédit et de l’expérience lui permettant de faire évoluer son vaisseau et ses compétences peut fonctionner ? On a pu vérifier que oui, et avec par-dessus un système de difficulté échelonné sur 100 niveaux. Le dernier obstacle est de réussir à faire des niveaux aléatoires mais intéressants…
Comment équilibrer le système et arriver à rendre cette progression des patterns intéressante en regard de l’évolution du joueur ?
Il faut vérifier en permanence qu’on est pas en train de casser le système. Donc on playteste beaucoup. Et un des outils dont je ne soupçonnais pas l’utilité au moment où on a commencé le développement, c’est Twitch. Autant lors d’un salon on n’a pas forcément le temps de voir les joueurs s’habituer au jeu, autant en regardant certains joueurs en ligne j’ai pu me faire une idée de jusqu’où je pouvais aller en matière de difficulté. C’est aussi un facteur qui m’incite à élargir la communication sur le jeu car j’aimerais voir plus de gens y jouer, afin d’en tirer des conséquences sur mon équilibrage. J’ai aussi des fichiers Excel où je compte le score moyen des différents profils de joueurs. Ce qui permet de calibrer les dégâts, les récompenses, et aussi d’ajuster le temps nécessaire pour arriver à la fin, selon les capacités propres au joueur. Au départ c’est donc de l’observation, des playtests internes, en salon et sur Twitch. Ensuite ce sont des stats.
« Un des outils dont je ne soupçonnais pas l’utilité au moment où on a commencé le développement, c’est Twitch »
_ Alain Puget
Je n’ai pas assez joué au jeu pour me faire une idée précise, mais en t’écoutant, je me demande s’il n’y pas un risque d’épuisement pour le joueur. Le fait qu’il se dise : « C’est interminable, je peux continuer et progresser à l’infini. » Alors qu’un shoot’em up est par essence fermé, tout en laissant une importante courbe d’apprentissage due à la difficulté.
Sur la construction globale du jeu, je me calque vraiment sur l’expérience typique du hack’n slash à la Diablo. C’est-à-dire que le jeu final sera une campagne scénarisée d’une dizaine d’heures – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans la version alpha.
C’est long pour un shoot !
Oui, mais c’est calqué sur la durée d’une campagne de hack’n slash. L’idée n’est pas de proposer dix heures d’action hyper intense comme tu peux l’avoir dans un shoot’em up : c’est un jeu où les vaisseaux peuvent encaisser de nombreux dégâts, où tu peux te soigner. De plus, dans la prochaine mise à jour on va ajouter des classes : une plus orientée shmup, plus fragile, et une qui va bien résister aux assauts, pour les joueurs moins doués et qui voudraient profiter de l’histoire, de la recherche d’objets, de la progression. Toutes les missions n’auront pas forcément un rythme ultrafrénétique.
Comment équilibrer la difficulté d’un level design aléatoire ?
On a résolu la première étape qui était de pouvoir générer 100 niveaux de difficulté sur un stage. Après, en interne on a créé des outils de description. Ils permettent de décomposer la scénarisation du niveau à des échelles différentes – à celle d’un ennemi, les patterns de tir de cet ennemi – pour ensuite « remonter » progressivement : un ennemi fait partie d’une vague, une vague fait partie d’un bloc, et un bloc fait partie d’un niveau. Le jeu final sera constitué de blocs de scénario, qui seront dans une bibliothèque et qui vont être classés par niveau de difficulté et par degré de rareté. Il y a des choses qu’on va présenter régulièrement au joueur. D’autres, comme des événements ou des patterns un peu particuliers, qui n’apparaîtront qu’exceptionnellement, pour avoir ce double mélange de difficulté et de rareté dans notre bibliothèque de scénario.
« Le jeu final sera constitué de blocs de scénario qui apparaîtront régulièrement ou exceptionnellement, et qui vont être classés par niveau de difficulté et degré de rareté »
_ Alain Puget
Ensuite chacun de ces blocs se doit de s’adapter à la difficulté. Chacune des vagues de monstres a donc un ou plusieurs paramètres variables : la vitesse de déplacement, le nombre d’ennemis… Et les points de vie, les dégâts, les patterns de tirs de chaque ennemi sont influencés par la difficulté. Ainsi, un bloc de description sera typiquement représenté par cinq ou six vagues consécutives d’ennemis, faites à la main afin que cette succession soit intéressante et qu’on force le joueur à être mobile à l’écran. Cela nous permet de créer du rythme au sein des vagues. Après le dernier challenge sera de générer des niveaux intéressants.
Comment comptez-vous faire ?
Sur ce sujet, on a consulté certains travaux, notamment ceux de Valve pour Left 4 Dead. Ils ont publié plusieurs papiers qui expliquent comment les niveaux du jeu sont aléatoires tout en étant structurés d’un point de vue rythmique. Le niveau commence un peu lentement, puis la tension monte, hop un pic d’action frénétique, on relâche ensuite pour que le joueur puisse redescendre un peu, et boum on relance derrière ! On va s’en inspirer. Ensuite notre système devra pouvoir générer une histoire dans le niveau, avec des pics d’activité.
Sur la démo, les décors sont un peu vides. Voulez-vous en faire quelque chose ?
Les décors sont aussi liés à notre capacité de production. Ils ne seront pas toujours vides. Il y aura notamment des signes d’habitations humaines, mais qui seront finalement moins communes que les zones un peu désertiques, ce qui colle avec l’histoire. Et toute cette partie humaine et scénarisée sera illustrée par des dessins et des dialogues qui seront parfois intercalés entre les phases d’action.
« On s’est inspiré de plusieurs articles de Valve sur Left 4 Dead où ils expliquent comment les niveaux du jeu sont aléatoires tout en étant structurés d’un point de vue rythmique. »
_ Alain Puget
Tu as cité R-Type pour donner une référence un peu emblématique ?
En fait les shoot’em up horizontaux sont un peu mal aimés par rapport aux verticaux. Il y a d’ailleurs beaucoup de gens qui nous demandent pourquoi on fait un shoot horizontal. La réponse est simple, les écrans sont 16/9 et pas 9/16, et moi je suis toujours chagriné d’avoir des grosses barres avec des illustrations ou des bouts d’interface un peu moches.
Le shoot’em up horizontal a commencé sur des écrans 4/3 et maintenant il se retrouve sur des écrans 16/9. Pour ce qui est de la distance à parcourir, de l’utilisation de la surface d’écran, ce n’est pas évident…
On essaie d’en profiter, d’avoir des vagues d’ennemis et des enchaînements qui te mobilisent. Dans le shoot’em up traditionnel, tu passes souvent ton temps à trouver des failles dans les patterns en te déplaçant au pixel près. Je veux forcer le joueur à utiliser toute la surface de l’écran. Par exemple, les attaques vraiment puissantes sont de courte portée, ce qui pousse le joueur à se rapprocher des ennemis qui squattent un coin de l’écran. Et dans les shoot’em up, je préfère les ennemis qui ont des comportements, plutôt que des trajectoires ou des patterns. J’aime lorsqu’il faut analyser l’algorithme, plutôt que de savoir que tel ennemi va suivre tel chemin à l’écran. Les comportements permettent des variations infinies.
« Dans les shoot’em up je préfère les ennemis qui ont des comportements, plutôt que des trajectoires ou des patterns. J’aime lorsqu’il faut analyser l’algorithme »
_ Alain Puget
Quelles sont vos sources d’inspiration pour les boss ?
On les veut modulaires, proches de ceux d’un hack’n slash. Dans un jeu comme Diablo, un boss vaut surtout pour les pouvoir spéciaux qui lui ont été attribués de façon généralement aléatoire. Je veux qu’on fasse des ennemis avec un design original, des attaques particulières, mais surtout que derrière on puisse leur greffer des trucs au hasard afin qu’on puisse se dire : là c’est ce boss mais dans une version invulnérable aux grosses attaques. Ou là c’est ce même boss mais avec une aura qui peut t’attirer vers lui. C’est important de proposer assez de variété aux joueurs ayant envie de s’investir dans la recherche d’objet, qui est très longue. Du coup plus la difficulté augmente, plus tu auras des combinaisons horribles de boss et de pouvoirs qui demandent au joueur d’avoir un meilleur vaisseau ou une meilleure maîtrise du jeu.
Pour conclure, quels sont tes meilleurs souvenirs de shoot’em up ?
Bah R-Type (rires). Plus récemment Sine Mora, qui graphiquement est le plus joli shmup jamais fait – mais c’est loin d’être mon préféré : je ne suis pas très client de leur système de points de vie et de temps limité, et les niveaux sont trop courts, on ne profite pas assez des vagues d’ennemis avant d’arriver au boss. En définitive, je n’ai pas tellement apprécié le jeu (rires). Sinon j’ai passé beaucoup de temps sur Xenon 1 et 2 sur mon Atari ST. Sur borne d’arcade dans les années 1980, je jouais à Tiger Heli. Après, j’ai toujours été davantage un joueur PC. Mais sur console j’ai fait l’adaptation Xbox 360 d’Ikaruga, c’est une tuerie sans nom.
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Drifting Lands
Auteur : Alkemi
Pays : France
Genre : Shmup/hack’n slash
Plateformes : PC, MAC
Sortie : NC
Steam
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